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Matthieu 1.1
Imaginez que vous êtes à votre compte, mais au service de l’État. Votre poste de travail est un portique de péage situé sur la seule route qui lie deux départements. Votre employeur exige une somme minimale de la part de chaque voyageur, mais vous avez le droit d’imposer la somme globale que vous voulez. Vous ajoutez donc ce surplus et empochez la différence, c’est votre salaire. Moi j’aimerais bien un tel boulot. Telle était la situation privilégiée des péagers aussi appelés publicains qui travaillaient pour le compte des Romains en Palestine. Il va sans dire qu’ils étaient riches et haïs du peuple. L’un d’entre eux s’appelait Matthieu. Or un jour, Jésus est passé le voir et lui a simplement dit : Suis-moi ! Ce qui est impressionnant, c’est qu’il a obéi. Il a tout laissé, tout abandonné parce qu’il a renoncé à ce travail, oh combien lucratif pour une vie de nomade démunie de tout. Il est devenu célèbre, puisqu’il devint l’un des 12 apôtres du Christ et que la plupart des gens ont entendu parler de l’Évangile selon Matthieu.
Je vais maintenant parcourir les pages de son chef d’œuvre. En nous penchant sur l’histoire de Jésus décrite par ce péager, je vous propose un retour aux sources, celles qui établirent les fondements de notre civilisation occidentale et forgèrent les valeurs de nos ancêtres. Si vous cherchez le sens de la vie, vous savez déjà qu’il n’est pas constitué par ce qui me distrait ou excite les sens. La vérité est ailleurs. Je vous invite donc à regarder de près l’Évangile selon Matthieu, un livre qui se trouve à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ce premier ouvrage du Nouveau Testament qui compte 28 chapitres est particulièrement important.
À l’origine, le mot testament ne voulait pas dire dernières volontés comme aujourd’hui, mais alliance. L’Évangile explique la nouvelle alliance que le Créateur du ciel et de la terre a conclue avec l’humanité. Les deux ouvrages clés des Écritures sont le livre de la Genèse que j’ai précédemment couvert et l’Évangile de Matthieu. Ils ouvrent pour ainsi dire la compréhension des autres Textes Sacrés. Matthieu fut rédigé durant la deuxième moitié du premier siècle de notre ère, après que l’apôtre saint Paul ait écrit les Épîtres. Pourtant, c’est ce livre qui fait le pont et le lien entre deux pièces maîtresses, les deux alliances que sont l’Ancien et le Nouveau Testament. Afin d’apprécier l’Évangile selon Matthieu, il faut se rappeler qu’il existe un très grand vide d’environ 400 ans entre la fin de l’Ancien Testament, et le début du Nouveau qui commence avec la naissance de Jésus-Christ à Bethléhem.
Après que le prophète Malachie, le dernier auteur sacré de l’Ancien Testament, se soit tu, l’émetteur céleste demeura silencieux pendant près de 4 siècles. Puis un jour, sans raison particulière, un ange de l’Éternel interrompit le moment de prière d’un prêtre nommé Zacharie. Il se présenta à lui dans le temple de Jérusalem où il exerçait son ministère. Cet ange lui annonça que sa femme jusque-là stérile donnerait naissance à un fils, qu’il devra le nommer Jean-Baptiste, et qu’il sera le précurseur et l’émissaire du Messie. Durant les 4 siècles de silence de Dieu, de nombreux événements avaient bien sûr eu lieu et l’histoire de l’humanité suivait son cours. Aucun livre, faisant partie du canon sacré, inspiré de Dieu, ne commente ce laps de temps pourtant très long. Cette pause divine fut marquée par des circonstances mouvementées et tragiques pour la nation d’Israël. Le peuple issu d’Abraham, Isaac et Jacob connut un bouleversement radical aussi bien culturel que de ses institutions structurelles. La plupart de ces changements apparaissent tout au long des pages du Nouveau Testament.
Pendant ces 4 siècles qui séparèrent les deux Testaments, les nations du Proche-Orient avaient évolué de façon considérable. Lorsque le dernier prophète de l’Ancien Testament parlait, l’Égypte était encore importante, mais militairement inférieure à l’empire des Mèdes et des Perses qui dominait alors tout le Moyen-Orient. Toutefois pendant cet intervalle de 4 siècles, ces deux civilisations perdirent leur hégémonie et la domination du bassin méditerranéen passa de l’Est à l’Ouest, de l’Orient à l’Occident, de l’Asie à l’Europe. La Grèce, sous la botte d’Alexandre le Grand, conquit l’empire médo-perse pour tomber ensuite sous le joug de Rome, la nouvelle puissance sur la carte du monde.
Certaines dates clés donnent une vue d’ensemble de ces 4 siècles d’histoire tourmentée et permettent de mieux comprendre la situation et le mode de vie et de pensée des Juifs, lorsque leur Messie se présenta à eux. Tout d’abord vainqueur de Spartes, une des principales villes grecques en 480 av. J-C, la Perse fut finalement battue en cette même année à Salamine lors d’une bataille navale ce qui consacra la suprématie maritime d’Athènes et le début d’un lent déclin de l’empire Médo-Perse. Je me souviens vaguement d’avoir appris ça sur les bancs de l’école, mais à l’époque je me demandais bien à quoi ça pouvait bien servir. En l’an 333, Alexandre le Grand écrasa les Perses et ne connut que victoire sur victoire. En 332, il se rendit à Jérusalem et on lui montra ce que le prophète Daniel avait prédit le concernant. Impressionné, il épargna la ville. En même temps que la répartition des puissances changeait, la langue grecque se répandait dans le sillage d’Alexandre. Mais les empires humains ne durent pas et en l’an 323, Alexandre le Grand meurt en Perse.
Alors, ses quatre généraux se partagent ou plutôt s’arrachent son immense empire, qui englobait à la fois l’Orient et l’Occident. Mais rien ne se fait dans l’ordre, car chacun de ces tyrans essaie de tirer la couverture à lui. Et puis les choses se compliquent encore davantage avec toutes sortes de personnages pittoresques qui essaient de devenir les maîtres du monde, mais on se lasse vite de leurs noms difficiles à prononcer. Je vais donc me résumer et me pencher sur la Palestine, qui est l’endroit qui nous intéresse, puisque c’est là que se trouvent les descendants d’Abraham. En l’an 320, cette région est annexée par l’Égypte, qui est sous la tutelle d’un des généraux d’Alexandre. En 312, le royaume de Syrie, sous la botte d’un autre général, essaie de s’emparer du territoire israélite, qui devient ainsi un état tampon et un champ de bataille entre ces deux tyrans. La Palestine joue alors le rôle de planche à laver sur laquelle vont et viennent alternativement les forces militaires de la Syrie et de l’Égypte.
La Suisse a connu quelque chose de semblable avant de devenir la Confédération helvétique qu’on connaît. Finalement, c’est la Syrie qui triompha et un despote du nom d’Antioche le Grand, encore un, prend Jérusalem. Soit dit en passant, ces égos-maniaques aiment beaucoup se faire appeler grand comme s’ils avaient besoin de ce qualificatif pour se remonter le moral et mieux dormir la nuit. En l’an 170 av. J-C se produit la profanation du temple de Jérusalem par un dénommé Antioche Épiphane, mentionné par le prophète Daniel comme étant un tyran de grande envergure. Ce triste personnage fut aussi horrible vis-à-vis des descendants d’Israël que le sera l’empereur romain Néron envers les chrétiens. Finalement, les Juifs, sous la conduite du prêtre Mattathias de la famille des Maccabées, se révoltent contre la tyrannie d’Épiphane et de la Syrie. Cette longue période de guerres est dirigée par Judas Macchabée. Beaucoup se montrèrent héroïques, mais la nation d’Israël souffrit énormément. Sept frères ainsi que leur mère de la famille Maccabée furent suppliciés à cause de leur fidélité à la Loi de Moïse. Parce que cette guerre fut particulièrement cruelle et marquée par d’immenses bains de sang, le mot maccabée qui veut simplement dire marteau, vint à désigner un noyé au 19e siècle et tout cadavre aujourd’hui.
Finalement, les Juifs vainquirent réussissant à rejeter le joug de l’oppresseur. Malheureusement, leur triomphe fut de courte durée. En l’an 63, le Romain Pompéi prit Jérusalem et le peuple juif passa sous la tutelle de Rome, la nouvelle puissance aux commandes. Et c’est ainsi que d’un événement à un autre nous nous rapprochons tout doucement du premier Noël. En l’an 40 av. J-C, le Sénat romain nomme Hérode roi de la province de Juda. Jamais le Proche-Orient n’avait encore connu un despote de cette envergure. Il était à ce qu’il parait digne d’un Hitler, Staline et autres Néron du même gabarit. Son premier acte officiel fut d’éliminer les derniers survivants de la famille Maccabée. En l’an 31 avant notre ère, César Auguste devient empereur et en l’an 19 débute la construction du temple de Jérusalem, qui se poursuivra durant toute la période du Nouveau Testament.
Durant les 4 siècles qui séparent les deux Testaments et comme je l’ai déjà dit, de profonds changements culturels eurent lieu en Israël. Les rescapés de l’exil babylonien s’étaient regroupés en Judée, sur l’ancien territoire du royaume de Juda au sud de la Palestine. La partie nord du pays avait subi un fort brassage de populations tant juives que païennes durant et après la captivité à Babylone. Le territoire appelé Samarie est en sandwich entre la Galilée au nord où Jésus résidait habituellement et la Judée au sud où se trouve la ville sainte. La Samarie est mentionnée à plusieurs reprises dans les Évangiles, parce que Jésus l’a traversée chaque fois qu’il se rend à Jérusalem pour y célébrer les fêtes juives. Il faut se rappeler que les deux royaumes d’Israël, le nord et le sud, avaient été jugés par Dieu et déportés à cause de leur idolâtrie maladive incessante.
Cependant, Cyrus le Grand, encore un qui avait besoin de ce qualificatif et fondateur de l’empire perse, n’avait personnellement rien contre les descendants d’Abraham. Après qu’il eut conquis Babylone, il les autorisa donc à rentrer chez eux. Soit dit en passant qu’en agissant ainsi, il accomplissait une prophétie très précise le concernant. Les Juifs qui choisirent de retourner dans leur pays s’implantèrent en Judée dans le sud du pays et ne furent plus idolâtres contrairement à leur lourd passé. Cependant, ils adoptèrent un légalisme religieux fanatique qui ne vaut guère mieux et peut même devenir dangereux comme chacun sait. L’extrémisme sous toutes ses formes, les fous de Dieu, le soi-disant intégrisme et les attentats suicides, on en a soupé. Au final, la Loi de Moïse, que les descendants d’Abraham devaient respecter, devint à son tour une véritable idole dans le sens que les religieux juifs en firent une législation très lourde et totalement inaccessible au peuple. Seule la classe ecclésiastique pouvait s’y conformer et encore.
L’autre changement important qui affecta les Israélites fut d’ordre linguistique. L’hébreu céda la place à l’araméen dans les conversations de tous les jours, mais continua à être utilisé dans les synagogues qui commencèrent à pousser comme des champignons un peu partout en Judée et en Galilée. C’est à partir de cette époque que ces institutions cultuelles relativement récentes devinrent également des centres culturels partout où il y avait des Juifs de par le monde. C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.
Un troisième changement notable s’opéra après le retour de captivité : ce fut la création quelque peu spontanée des partis religieux. Les Pharisiens et les Sadducéens, en particulier, sont fréquemment mentionnés dans le Nouveau Testament, mais curieusement absents de l’Ancien Testament. Une esquisse des différents groupes d’influence présents en Palestine lorsque le Christ commença son ministère permet de mieux comprendre pourquoi les religieux étaient constamment à couteaux tirés avec le Christ et ses disciples. Cette animosité est une toile de fond pendant tout le ministère de Jésus et explique au niveau humain son arrestation et la crucifixion.
Le parti dominant était les Pharisiens. Leur mission consistait à défendre le mode de vie juif et à les préserver contre toute influence étrangère qu’ils jugeaient forcément mauvaise. Ça me fait un peu penser à la défense de la langue française contre les anglicismes. Les Pharisiens étaient d’une grande discipline morale et rituelle, ce dont ils n’étaient pas peu fiers, et qui les séparait du reste du peuple. Les adeptes de ce groupe étaient des légalistes purs et durs qui s’efforçaient de mettre en pratique de manière stricte les préceptes de l’Ancien Testament selon leur interprétation, et c’est bien là que le bât blesse. Ils avaient élaboré toute une tradition qui consistait à observer 613 règles, 248 commandements et 365 interdits. Leur enseignement oral fut mis par écrit au 2e siècle de notre ère et s’appelle la Mishna. Elle se développa encore davantage pour former au 4e siècle le Talmud. Les Pharisiens constituaient un parti politico-religieux qui comptait environ 6 000 membres, dont de nombreux interprètes de la Loi, appelés scribes. Ils avaient foi en la résurrection des morts, mais aussi une conception dualiste de la vie qui deviendra plus tard le manichéisme. Ils croyaient que deux tendances, une mauvaise et une bonne, s’opposaient en tout homme. Sur le plan politique, ils étaient très nationalistes, voulant rétablir le royaume du roi David.
Les Sadducéens étaient le deuxième groupe influent de l’époque. Ils se composaient essentiellement de personnes aisées, intéressées par les problèmes sociaux et qui n’avaient que faire de la tradition des Anciens. Ils considéraient que seuls les 5 livres de Moïse étaient inspirés de Dieu. C’étaient des humanistes avant l’heure. Les riches sont toujours prêts à donner quelques miettes qui tombent de leur table. Encore que pour être juste, il faut mentionner certains milliardaires qui donnent des sommes considérables à de bonnes causes. J’ai une fois lu que Bill Gates, le fondateur de l’entreprise Microsoft, a offert plusieurs milliards de dollars à des organisations caritatives qui s’occupent d’enfants abandonnés ou maltraités dans le tiers monde. Chapeau bas ! La théologie des Sadducéens était rationaliste, car ils ne croyaient que ce qu’ils voyaient et rejetaient donc l’idée du surnaturel. Ils n’acceptaient évidemment pas le concept de la résurrection des morts et niaient l’existence des anges et des esprits. Par contre, ils se sentaient plutôt proche des Épicuriens grecs, dont la philosophie buvons et mangeons, prenons du bon temps, car demain nous mourrons est aussi très française. Ils étaient adeptes de la poursuite du bonheur personnel et de la satisfaction sans retenue de tous les appétits sensuels ce qui leur permettait, disaient-ils, d’échapper à toute tentation. Voilà une manière de voir les choses pour le moins intéressante et qui a fait beaucoup d’émules. Les Sadducéens s’opposaient donc fondamentalement aux Pharisiens plutôt ascètes, dans leur façon de vivre et leur conception de Dieu. Politiquement, ils voulaient sauvegarder leur nation coûte que coûte, mais pour cela avaient choisi de collaborer avec les Romains.
Un troisième groupe qui apparaît tout au long des Évangiles est celui des scribes. Ils étaient les interprètes professionnels de la Loi de Moïse. Habitués à couper les cheveux en quatre ou en huit, ils aimaient jouer sur les mots et étaient comme les Pharisiens attachés à la lettre de la loi plutôt qu’à son esprit. À côté de ça, ils se souciaient de bien soigner leur prestige et respectabilité auprès du peuple. Quand le despote Hérode demanda aux scribes où devait naître le Messie, sans hésiter ils répondirent Bethléhem. En revanche, ils ne se précipitèrent pas à la crèche pour voir et adorer le petit enfant comme le firent les rois mages. La réalité et la signification de la naissance du Christ ne les intéressaient pas particulièrement. Ce qu’ils aimaient, c’était interpréter les textes, ils auraient été les champions du scrabble. Cette classe élitiste est une parfaite illustration du danger qui consiste à augmenter ses connaissances mêmes des Écritures sans pour autant qu’elles aient un quelconque impact sur son cœur ou sa vie de tous les jours.
Aujourd’hui, beaucoup de théologiens d’obédience chrétienne sont érudits au possible avec des diplômes plein les poches et des connaissances linguistiques et historiques impressionnantes. Mais malgré toute cette éducation, ils demeurent ignorants au regard de la compréhension de l’amour de Dieu et d’une relation personnelle avec Jésus-Christ.
Commentaire biblique radiophonique écrit par le pasteur et docteur en théologie : Vernon McGee (1904-1988) et traduit par le pasteur Jacques Iosti.